Journal l’Union – Publié le vendredi 27 juin 2008
IL n’est ni au chômage, ni en invalidité, et présente la particularité d’être le seul agent public statutaire à ne pas être payé tout en n’étant pas licencié. Depuis sa révocation de la Chambre régionale de métiers de Champagne-Ardenne où il exerçait la fonction de secrétaire général, Christian Dauphin, 57 ans, se retrouve dans une situation absurde. « Je suis condamné à mourir de faim depuis le 31 octobre 2006, date de ma mise en congé sans solde », explique-t-il.
Claude Dauphin, qui avait révélé des errements dans la gestion de la Chambre régionale de métiers de Champagne-Ardenne, a été placé contre son gré en congé sans solde. Il ne touche pas un centime depuis 16 mois. PHOTO : Claude Dauphin (à gauche), en compagnie de son avocat Me Derowski. Ce fonctionnaire est privé de tout revenu pour une durée indéterminée.
L’homme aurait-il trop parlé ? C’est grâce à lui qu’éclate en 2006 le scandale financier de la Chambre régionale de métiers. L’enquête est toujours en cours. Six personnes ont été à ce jour mises en examen : trois anciens présidents de l’organisme consulaire, un ex-secrétaire général et deux fonctionnaires du Conseil régional. La justice reproche à ces personnes d’avoir permis le détournement de 382.000 € de fonds publics, entre 1994 et 2004. Cette somme représentait une partie de l’aide régionale aux investissements artisanaux. De l’argent appartenant au Conseil régional mais géré par la Chambre. Les artisans soucieux de se développer pouvaient bénéficier de ces avances remboursables sur cinq ans. À charge pour la Chambre de reverser les remboursements au Conseil régional. Sauf qu’en 2002, l’organisme consulaire connaît une telle déconfiture qu’il ne peut honorer ses créances. Manifestement, l’argent a plutôt servi à couvrir des dépenses de fonctionnement et des notes de frais inconsidérées. Difficile d’en savoir plus puisque des pièces comptables ont mystérieusement disparu.
Claude Dauphin, qui a dénoncé ces magouilles, le paye très cher aujourd’hui. La Chambre régionale de métiers ne lui pardonne pas d’avoir craché dans la soupe. Elle joue sur le flou du statut du personnel administratif des chambres de métiers pour le mettre dans la panade. Les négociations pour son départ ont très vite achoppé : « Quand ils m’ont réintégré une première fois pour me mettre au placard, je leur ai demandé de me licencier à la loyale en leur expliquant qu’en trois ans, cette somme était amortie. Ils m’ont répondu qu’ils s’en fichaient puisque j’étais payé par une subvention d’État. » La Chambre, qui ne cotise pas à l’Assedic, n’aurait pas les moyens de licencier son fonctionnaire. Claude Dauphin cherche alors à faire valoir ses droits devant le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne. Il obtient dans un premier temps gain de cause. « Le tribunal administratif a annulé la mise en congé sans solde », explique son avocat, Me Patrick Derowski. « On a gagné sur le principe mais l’article de loi s’applique si M. Dauphin est pris en charge par la sécurité sociale. Or, il n’est pas malade ! La direction du Travail l’a déclaré apte. Et l’employeur refuse obstinément toute visite médicale qui aurait comme conséquence la réintégration de son salarié. »
La Chambre régionale de métiers a fait appel puis a porté l’affaire devant le Conseil d’État. Claude Dauphin, financièrement étranglé, a vainement tenté d’alerter des politiques : « J’avais demandé l’aide de Renaud Dutreil alors ministre, qui m’avait conseillé de laisser tomber la procédure administrative. Je viens d’écrire au Président de la République. Sans plus de résultats ».
Claude Dauphin pensait avoir fait son devoir en dénonçant un scandale.
Il réclame aujourd’hui ses droits : notamment ses arriérés de salaires, soit 3.000 € mensuels auxquels s’ajoutent les intérêts de retard.
Christophe Perrin
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Le double jeu d’un magistrat
Un magistrat a-t-il joué le rôle de conseiller juridique auprès de la Chambre régionale de métiers ? Claude Dauphin détient un document explosif : un compte rendu de séance où un parquetier de Reims, qui n’est plus en poste aujourd’hui dans la région, commente très librement les errements de gestion de certains membres de la Chambre. Il ignorait que ses propos confidentiels étaient notés noir sur blanc. C’est ainsi qu’il conseille aux administrateurs la conduite à tenir pour éviter les ennuis judiciaires. Ce qui lui est rigoureusement interdit.
Pour se couvrir, le magistrat enverra ensuite une lettre manuscrite au procureur de la République de Châlons afin de dénoncer les agissements au sein de la Chambre. Bien après Claude Dauphin qui avait fourni le compte rendu de la séance embarrassant à la justice qui elle-même a omis de le confier à la brigade financière de Reims chargée de l’enquête. Et bien après l’enquête de l’Inspection générale de l’industrie et du commerce qui a confirmé les dysfonctionnements de la Chambre régionale de métiers de Champagne-Ardenne.
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« Une situation insoluble »
Zinedine Abid, secrétaire général de la Chambre de métiers, est arrivé il y a deux ans à Châlons-en-Champagne, dans une institution en pleine crise.
Il a eu à gérer le dossier de Claude Dauphin. Il qualifie lui-même la situation de « kafkaïenne » : « Nous déplorons cet état de fait. Nous avons demandé aux juges administratifs de se prononcer. Leur interprétation des textes est inapplicable. C’est pourquoi nous avons fait appel.
En obtenant dans un premier temps, une déclaration d’inaptitude par la médecine du travail, Claude Dauphin n’a pu être réintégré à son poste. Les autres chambres de métiers n’ont proposé aucune solution de reclassement. Et nous ne pouvons pas le licencier pour raisons médicales puisqu’il aurait fallu qu’il cumule au moins trois ans d’absence. Aujourd’hui, nous sommes dans l’incapacité juridique de résoudre sa situation. C’est regrettable. Le statut des personnels des chambres de métiers date de 1952 et n’est plus, manifestement, adapté. »